jeudi 29 octobre 2009

Silence on tue (Part II)

Le 29 octobre est passé la deuxième partie du documentaire "La mise à mort du travail" de Jean-Robert Viallet dont j'avais déjà commenté la première partie ici.

Après Carglass et la grande distribution on s'immerge cette fois dans l'entreprise Fenwick. On va suivre avec eux 2 projets de restructuration :
  • La restructuration des commerciaux. Vers quoi ? Vers plus de productivité en prenant exemple sur les top vendeurs.
  • La restructuration de la chaine de production. Vers quoi ? Vers...plus de productivité en se basant sur la méthode Kaizen.
Je vous livre ici quelques notes et réflexions que j'ai prises à la volée, devant mon petit écran (enfin, c'est un plasma quand même, faut faire tourner cette société de consommation !) en suivant le documentaire :

"Se dépasser" devient le maître mot en entreprise. Sous l'impulsion des actionnaires, il faut vendre toujours plus (le réalisateur pointe du doigt tout au long du documentaire la responsabilité du capitalisme financier dans la désagrégation du travail). Ce "vendre toujours plus" conduit à la notion d'Excellence dans l'entreprise.
Ce qui nous amène à Peters et Waterman. Deux consultants qui ont écrit un livre "Le prix de l'excellence", premier best seller sur le management en France, dans les années 80 qui a eu un impact énorme dans les styles managériaux jusqu'à aujourd'hui. (Note perso : je recommande la lecture de son blog, esprit vif et doté de beaucoup d'humour il passe son temps à donner des présentations ici et là)
Ce livre pose l'Excellence comme un idéal. Donc l'Homme et l'Entreprise (agrégation d'Hommes) doivent se réaliser dans l'Excellence.
Pour l'Homme c'est devenir le n°1 (au détriment de ses collègues) et pour l'Entreprise c'est l'augmentation de la productivité.

Christophe Dejours, psychiatre parle ensuite longuement sur les consultants qui mènent la réflexion de Fenwick sur l'amélioration de leurs commerciaux. Il parle de ces commerciaux comme des extracteurs de connaissance. Extracteurs étant ici un terme peu flatteur. Presque au sens de voleur. D'après Dejours il y a tromperie, il y a un détour. Ce détour est "vous les meilleurs, dîtes-nous comment vous faîtes, pour que nous le répliquions dans l'entreprise". Qui pourrait rester insensible ? Il avance que ceci constitue une manipulation des commerciaux ainsi interviewés : on ne peut pas rester indifférent à ces marques de reconnaissance manifestées par les consultants. Les consultants plongent les commerciaux dans un idéal narcissique auquel ils sont forcés d 'adhérer.
Le piège s'étend ensuite à toute l'Entreprise : l'Excellence va devenir la nouvelle norme pour tous. Et on se doute tous de ce qu'il adviendra à ceux qui ne seront plus dans la nouvelle norme de l'entreprise...

Ensuite vient une analyse de l'actionnaire et de son exigence de rentabilité à tout prix; déconnectée de la réalité industrielle et humaine.
("Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel" est un proverbe que vous rabâchent les traders. Moi j'ai l'impression qu'on devrait les forcer à passer du temps en forêt pour qu'ils ne l'oublient jamais...)
Ce qui m'a marqué c'est le dirigeant de Fenwick qui dit sur un ton définitif "le bon management c'est ne jamais être satisfait" et aussi "Un manager c'est quelqu'un de jamais content"
Jamais content de quoi ? Au final : de la performance financière.

Puis le documentaire passe de ce constat à la description d'un "capitaliste" Henry Kravis fondateur d'un fond d'investissement, KKR.
Kravis est le type de capitaliste qui a inverser le rapport entre le Profit (le nécessaire bénéfice que doit générer toute activité entrepreunariale pour survivre) et la Réalisation (réalisation comme force motrice des entrepreneurs à l'ancienne, avec le défi de l'action et de la construction chevillé au corps)
Le profit et sa maximisation passent donc par l'optimisation totale du cœur de l'entreprise. Le Kaizen est une méthode qui va viser à la robotisation de l'humain. Objectif : augmenter les cadences. Pour augmenter les dollars pour KKR.

Le documentaire décrit comment se posent, pour les collaborateurs de l'entreprise soumise à un tel régime, les mêmes problèmes que les sportifs de haut niveau : stress, drogues... Sauf évidemment que les sportifs sont "élevés" dans cette recherche constante de performance, et que cette performance ne se réalise que lors de compétitions. Imaginez qu'on demande à Usain Bolt de courir la finale du 100m des J.O tous les jours ! (ouvrés allez...faut bien se reposer le week-end). Voilà l'ambiance pour les collaborateurs des entreprises du 21e siècle.
Effrayant...

Je passe rapidement sur la description historique que fait le documentaire de l'évolution du travail dans les entreprises, dans cette recherche constante d'amélioration et d'efficacité. Taylorisme, Fordisme, Toyotisme y sont dépeints sous l'angle d'une recherche d'amélioration de l'outil de production au détriment des ouvriers (je décrit ici la description du documentaire)
Évolutions qui ont changé le rapport au Travail. Toute proposition de l'ouvrier est jugée à l'aune de l'amélioration de la performance et de la productivité.

Puis on repasse à la finance actionnariale et à ses contraintes. Notamment celle liée au fait qu'elle demande des corrections instantanées ! Toujours plus vite est devenu le maître mot. Au risque de faire surgir l'image du chien qui court après sa queue (non pas celle-là, l'autre...) L'instantané n'étant pas l'échelle de temps d'une entreprise, quelle qu'elle soit.

Enfin, comme on pouvait s'y attendre, Fenwick (qui appartient à KKR) finit par faire un plan social. Et oui, on fait aussi bien qu'avant avec moins de personnes; pourquoi les garder ?

Quelques chiffres ? Kravis gagne 53 000 dollars par heure. Soit 453 millions de dollars par an. Soit encore 23 492 années de salaire d'un travailleur de chez Fenwick.

Question personnelle : De quel homme peut-on dire qu'il en vaut 23 492 autres ?

En conclusion : le rapport au Travail n'est pas anecdotique. Il sert (comme bien d'autres composantes de nos vies) à chacun pour se construire. (ça fait un peu cliché, mais si les clichés sont devenus des clichés c'est qu'ils ont un fond de vérité non ? (je crois que j'ai entendu ça dans Grey's Anatomy..., j'ai peur ...)

Le spéculatif casse, dénigre le travail. Le documentaire termine sur une le fait que c'est bien souvent la marque de la décadence d'une civilisation (rien que ça !)

Voilà, ce documentaire m'a marqué. Malgré un certain parti pris en défaveur de l'entreprise, des managers et du Système en général, je trouve qu'il dépeint finalement par de nombreux côtés une réalité qui est bien la notre. En tout cas celle de nous autres, travailleurs salariés de l'Occident.
A nous maintenant de lutter et de proposer autre chose. Pour que le travail (re)devienne un élément gratifiant d'une vie.

Le premier pas est la prise de conscience.

mercredi 28 octobre 2009

Silence on tue (France Telecom, Renault, Thales...)

En ce moment il ne se passe pas une semaine sans que l'on annonce un suicide de salarié. Choquant frustrant, malheureux, scandaleux, intolérable.

Quelles sont les raisons de ces suicides ?

Comme pour répondre à cette question je suis tombé lundi sur un documentaire diffusé sur France 3 "La mise à mort du travail" (voir le programme TV)
Ce documentaire de Jean-Robert Viallet se pose un double objectif :
  • Témoigner de la souffrance croissante des salariés en entreprise
  • Essayer de trouver les raisons de ce mal être général.
J'ai regardé ce documentaire en prenant quelques notes que je partage avec vous :
  • En France un suicide par jour serait dû au travail.
  • Les affaires aux Prud'hommes ont triplé en vingt ans.
  • Un quart des salariés français sont déjà passés aux Prud'hommes.
  • Si le nombre de policiers par habitant est de 1/600 en France, le nombre d'inspecteurs du travail par salariés est de 1/10 000
  • Une pression croissante pèse sur le management intermédiaire pour qu'il exerce une violence sur les équipes. Ce management est violenté pour qu'il violente à sont tour.
  • La misère sociale et la bassesse quotidienne sont les lots communs des affaires des Prud'hommes. Cette normalité en est effrayante.
Aux origines de ce phénomène le réalisateur pointe 2 éléments :
1-le rôle des managers qui ne servent plus de parapluie à leurs équipes. Au lieu de protéger ils sont devenus persécuteurs (attention je rapporte ici le point de vue du documentaire et pas le mien)
2-Le chômage de masse de ces trente dernières années est un "levier de soumission" qui a induit un changement de comportement chez les salariés : le consentement.

S'en suit une analyse intéressante sur l'aliénation (je vous engage à lire la définition exacte de ce mot donné par wikipédia) : pourquoi acceptons-nous, nous autres salariés, cet état de fait ?

D'abord on nous fait croire que la productivité maximale = bonheur pour tous.
Ensuite historiquement les choses ont peu à peu basculé :
  • 50's règne de la standardisation
  • 70's segmentation de la clientèle des entreprises
  • 80's Apparition de la notion de Satisfaction Client (la chasse au consommateur appelle à cette satisfaction). Qualité et productivité sont les maîtres mots
  • 2000 Mondialisation. On se retrouve face à un paradoxe : mettre en place des process les plus identiques et les plus standardisés possibles (bas couts) pour vendre un service qui se veut exclusif d'un individu. En gros comment faire pareil pour tout le monde en leur faisant croire que c'est unique ?
Face à ces évolutions les managers intermédiaires se retrouvent dans une obligation de productivité à tout va. On suit un chef de garage chez Carglass qui répète souvent "j'ai pas le choix". L'entreprise l'a mis dans un besoin de reconnaissance et dans un manque de repère qui brouille totalement sa capacité à discerner le bien du mal.

Le documentaire met également en lumière un autre paradoxe : celui de la prime d'équipe. Si vous bossez vous savez combien les notions d'équipe, de travail en équipe est valorisé. Dans les faits pourtant on se retrouve avec une individualisation des objectifs qui est la base d'une mécanique où l'équipe elle même va se charger d'éliminer les maillons faibles qui empêchent d'atteindre les objectifs et donc de toucher la prime. Bel exemple de mise à jour du mécanisme de l'aliénation au travail. Est passée au zapping d'hier le moment où les DRH de Carglass font passer l'entretien d'embauche en groupe de 5 ou 6 et estiment que ceux qui ont dézingués leurs collègues seront les plus aptes être embauchés. (frissons)

L'autre mécanisme fondamental de cette aliénation étant de placer l'équation suivante "Productivité = Service Client" au coeur du discours de l'entreprise. Le salarié étant également un client, ne pas se donner à fond pour les clients (donc pour lui) reviendrait à se nier lui-même. Il va donc contribuer à la productivité de toutes ces forces pour la plus grande joie du propriétaire ultime : l'actionnaire.

Ce documentaire s'est suivi d'un débat animé par Marie Drucker avec le N°2 de France Telecom, le réalisateur, un syndicaliste et un psychanalyste (vous m'excuserez je n'ai pas noté tous les noms)
Là aussi quelques notes en vrac sur le débat :
  • Les techniques de management sont les coupables (pas les seuls) du mal être en entreprise. (On apprend à nos dirigeants à "violenter" leurs équipes)
  • 25 suicides chez France Telecom dûs en partie à la concurrence entre les individus, au manque de solidarité, aux objectifs inatteignables, au manque d'équilibre Boulot-Perso.
  • L'évaluation individuelle des performances depuis vingt ans instaure une concurrence entre collaborateurs, plutôt qu'une solidarité.
  • Les objectifs financiers prennent le pas sur tous les autres objectifs de l'entreprise. Peut importent les moyens, il faut "tenir les objectifs". Ceci est une contrainte tellement forte qu'elle déborde sur la "vie personnelle" (on a tous amener le boulot à la maison certains jours n'est-ce pas?)
Cette course aux objectifs nous pousse à accepter de faire des choses qui vont à l'encontre de notre morale personnelle. Et cette trahison de l'éthique personnelle est une trahison du Moi. Et cette trahison du Moi a des conséquences, des répercussions physiques et psychologiques qui se manifestent par des suicides, des infarctus, des dépressions.

Autre point : il n'y a pas "d'épidémie" de suicide en entreprise (c'est le psychanalyste qui parle) car il n'existe pas de phénomène de groupe dans les entreprises (comme ça peut être le cas dans des sectes ou chez des groupes d'adolescents), les gens sont seuls.

Déni des directions de la Pression exercée sur les salariés plus déni des salariés de la question du Sens (ou plutôt du manque de Sens, voire du Non Sens) marquent la désagrégation des relations au sein des entreprises et aux tragiques conséquences que nous voyons tous les jours au 20 heures...

Alors pour conclure il faut tout de même noter que si ce débat a été un peu superficiel (format télé oblige malgré la bonne volonté affichée de Marie Drucker d'entrer dans le lard du Boss de France Telecom) et le documentaire orienté (franchement le documentaire est un peu partial et ne montre les dirigeants et les managers que sous l'angle du cynisme alors que je pense que beaucoup se donnent du mal et luttent contre le délabrement) j'ai trouvé cette émission passionnante et même d'utilité publique.
Elle est la base d'une réflexion necessaire de tout un chacun au sein de l'entreprise et peut-être l'origine d'une prise de conscience.
Le forum a donné lieu à de touchants témoignages sur le site de France 3. Voir ici

Ce soir passe la deuxième partie du documentaire. 23H05 sur France3. Je serais devant ma télé. Et vous ?

lundi 5 octobre 2009

C'est pas ma faute à moi, moi Lolita (Les notions de Faute et de Responsabilité)

"C'est pas notre faute, c'est la faute de..." me dit mon stagiaire alors que nous cherchons à faire avancer un dossier pour un client interne.
"C'est pas ta faute, hein, je dis juste que..." me dit mon sponsor projet alors que je lui présente différents plans d'actions possibles pour faire avancer un projet.

"C'est pas ma faute..."

Plusieurs fois pendant son stage j'ai essayé d'expliquer à mon stagiaire la différence entre les notions de faute et de responsabilité. En lui disant notamment que l'important n'était pas de chercher à qui incombait la faute, puisque de toute façon, NOUS étions les responsables de l'avancée ou du de la non-avancée. La recherche du "fautif", pour se défausser soi-même, plutôt que pour identifier une source d'anomalie (et par conséquent y remédier) était un réflexe que je voulais gommer en lui.

Et voilà que mon sponsor projet me ressort cette phrase ce matin..."C'est pas ta faute..."
Ce n'est peut-être pas ma faute si le projet prend du retard, mais c'est ma responsabilité d'en avertir qui de droit, d'anticiper si possible, et de proposer des actions correctives.

La faute c'est l'action de faillir, de manquer. Au sens être absent. La responsabilité c'est le devoir de répondre de ses actes, toutes circonstances et conséquences comprises.

La responsabilité est une notion positive, celle qui fait occuper une place, celle qui fait que l'on compte dans une structure.
La notion de faute rappelle la culpabilité et enferme dans la notion de ne pas faire d'erreur. Elle inhibe l'action.

Ainsi, les paroles de mon sponsor projet, au lieu de me réconforter, n'ont fait que m'accabler.

Quelles sont les conséquences pour un stagiaire du fait de se cacher derrière cette excuse de "c'est pas ma faute" ?

  • Tendance à s'en foutre. Si c'est pas ma faute, pourquoi s'en faire ? Si cela ne me concerne pas, pourquoi est-ce que je prendrais la tête à essayer de faire avancer les choses.
  • Laisser Faire. Cette pensée plonge la personne qui s'en nourrit dans l'inaction. Puisque ce n'est pas ma faute, c'est que d'autres sont aux manettes. Alors pourquoi ne pas les laisser faire ce qu'ils veulent pour pouvoir encore mieux me défausser si jamais les choses tournent mal. Bref, je trouve que cette pensée, comme un mantra, enferme dans une spirale négative.
Passivité et Déshumanisation.

Mais ce n'est pas mieux lorsque cette phrase "c'est pas ta faute" vous est servie par votre responsable sur un projet. En voici les conséquences :

  • Tendance à déresponsabiliser. Je suis Chef de Projet sur le projet X. Si ce projet n'avance pas et que ce n'est pas ma faute, alors qui va pousser pour faire avancer le projet ?
  • Ne rassure pas / infantilise. La première intention de mon sponsor était de toute évidence positive puisque qu'il voulait m'apaiser, me rassurer, me motiver ? Mais sa phrase n'a fait que m'infantiliser, en m'enlevant ma capacité (et mon devoir) d'action.
  • Manque d'exemplarité. Je suis chef de projet. Je suis responsable. Si un membre de mon équipe ne tient pas les délais, ne produit pas le contenu ou déborde sur les coûts, alors JE suis responsable. Je dois essayer d'anticiper et proposer une amélioration. Mais si le chef de projet "faillit" alors...c'est la responsabilité du sponsor projet, non ? La faillite du projet lui revient-elle ? Je ne le pense pas, le chef de projet, selon moi, reste le dernier responsable de la bonne exécution du projet. Mais un sponsor projet, en m'annonçant que ce n'est pas ma faute, et en ne l'endossant pas non plus, m'enlève toute capacité de rétablir l'équilibre.
Je trouve qu'avoir des responsabilités, LA responsabilité de quelque chose est ce qui peut nous arriver de mieux au boulot. Avoir une responsabilité, quel qu'elle soit, c'est être le capitaine du navire. Effrayant, mais tellement valorisant. L'effort en vaut la peine.
Un vrai manager n'est pas celui qui ne fait pas d'erreur, ni celui qui n'est jamais pris en faute, mais plutôt celui qui prend la responsabilité de les réparer.

Pour ceux qui le souhaitent je vous conseille la lecture du code de déontologie et d'éthique professionnelle du Project Management Institute, notamment le chapitre 2 sur la Responsabilité.
Qu'en pensez-vous ?