mercredi 28 octobre 2009

Silence on tue (France Telecom, Renault, Thales...)

En ce moment il ne se passe pas une semaine sans que l'on annonce un suicide de salarié. Choquant frustrant, malheureux, scandaleux, intolérable.

Quelles sont les raisons de ces suicides ?

Comme pour répondre à cette question je suis tombé lundi sur un documentaire diffusé sur France 3 "La mise à mort du travail" (voir le programme TV)
Ce documentaire de Jean-Robert Viallet se pose un double objectif :
  • Témoigner de la souffrance croissante des salariés en entreprise
  • Essayer de trouver les raisons de ce mal être général.
J'ai regardé ce documentaire en prenant quelques notes que je partage avec vous :
  • En France un suicide par jour serait dû au travail.
  • Les affaires aux Prud'hommes ont triplé en vingt ans.
  • Un quart des salariés français sont déjà passés aux Prud'hommes.
  • Si le nombre de policiers par habitant est de 1/600 en France, le nombre d'inspecteurs du travail par salariés est de 1/10 000
  • Une pression croissante pèse sur le management intermédiaire pour qu'il exerce une violence sur les équipes. Ce management est violenté pour qu'il violente à sont tour.
  • La misère sociale et la bassesse quotidienne sont les lots communs des affaires des Prud'hommes. Cette normalité en est effrayante.
Aux origines de ce phénomène le réalisateur pointe 2 éléments :
1-le rôle des managers qui ne servent plus de parapluie à leurs équipes. Au lieu de protéger ils sont devenus persécuteurs (attention je rapporte ici le point de vue du documentaire et pas le mien)
2-Le chômage de masse de ces trente dernières années est un "levier de soumission" qui a induit un changement de comportement chez les salariés : le consentement.

S'en suit une analyse intéressante sur l'aliénation (je vous engage à lire la définition exacte de ce mot donné par wikipédia) : pourquoi acceptons-nous, nous autres salariés, cet état de fait ?

D'abord on nous fait croire que la productivité maximale = bonheur pour tous.
Ensuite historiquement les choses ont peu à peu basculé :
  • 50's règne de la standardisation
  • 70's segmentation de la clientèle des entreprises
  • 80's Apparition de la notion de Satisfaction Client (la chasse au consommateur appelle à cette satisfaction). Qualité et productivité sont les maîtres mots
  • 2000 Mondialisation. On se retrouve face à un paradoxe : mettre en place des process les plus identiques et les plus standardisés possibles (bas couts) pour vendre un service qui se veut exclusif d'un individu. En gros comment faire pareil pour tout le monde en leur faisant croire que c'est unique ?
Face à ces évolutions les managers intermédiaires se retrouvent dans une obligation de productivité à tout va. On suit un chef de garage chez Carglass qui répète souvent "j'ai pas le choix". L'entreprise l'a mis dans un besoin de reconnaissance et dans un manque de repère qui brouille totalement sa capacité à discerner le bien du mal.

Le documentaire met également en lumière un autre paradoxe : celui de la prime d'équipe. Si vous bossez vous savez combien les notions d'équipe, de travail en équipe est valorisé. Dans les faits pourtant on se retrouve avec une individualisation des objectifs qui est la base d'une mécanique où l'équipe elle même va se charger d'éliminer les maillons faibles qui empêchent d'atteindre les objectifs et donc de toucher la prime. Bel exemple de mise à jour du mécanisme de l'aliénation au travail. Est passée au zapping d'hier le moment où les DRH de Carglass font passer l'entretien d'embauche en groupe de 5 ou 6 et estiment que ceux qui ont dézingués leurs collègues seront les plus aptes être embauchés. (frissons)

L'autre mécanisme fondamental de cette aliénation étant de placer l'équation suivante "Productivité = Service Client" au coeur du discours de l'entreprise. Le salarié étant également un client, ne pas se donner à fond pour les clients (donc pour lui) reviendrait à se nier lui-même. Il va donc contribuer à la productivité de toutes ces forces pour la plus grande joie du propriétaire ultime : l'actionnaire.

Ce documentaire s'est suivi d'un débat animé par Marie Drucker avec le N°2 de France Telecom, le réalisateur, un syndicaliste et un psychanalyste (vous m'excuserez je n'ai pas noté tous les noms)
Là aussi quelques notes en vrac sur le débat :
  • Les techniques de management sont les coupables (pas les seuls) du mal être en entreprise. (On apprend à nos dirigeants à "violenter" leurs équipes)
  • 25 suicides chez France Telecom dûs en partie à la concurrence entre les individus, au manque de solidarité, aux objectifs inatteignables, au manque d'équilibre Boulot-Perso.
  • L'évaluation individuelle des performances depuis vingt ans instaure une concurrence entre collaborateurs, plutôt qu'une solidarité.
  • Les objectifs financiers prennent le pas sur tous les autres objectifs de l'entreprise. Peut importent les moyens, il faut "tenir les objectifs". Ceci est une contrainte tellement forte qu'elle déborde sur la "vie personnelle" (on a tous amener le boulot à la maison certains jours n'est-ce pas?)
Cette course aux objectifs nous pousse à accepter de faire des choses qui vont à l'encontre de notre morale personnelle. Et cette trahison de l'éthique personnelle est une trahison du Moi. Et cette trahison du Moi a des conséquences, des répercussions physiques et psychologiques qui se manifestent par des suicides, des infarctus, des dépressions.

Autre point : il n'y a pas "d'épidémie" de suicide en entreprise (c'est le psychanalyste qui parle) car il n'existe pas de phénomène de groupe dans les entreprises (comme ça peut être le cas dans des sectes ou chez des groupes d'adolescents), les gens sont seuls.

Déni des directions de la Pression exercée sur les salariés plus déni des salariés de la question du Sens (ou plutôt du manque de Sens, voire du Non Sens) marquent la désagrégation des relations au sein des entreprises et aux tragiques conséquences que nous voyons tous les jours au 20 heures...

Alors pour conclure il faut tout de même noter que si ce débat a été un peu superficiel (format télé oblige malgré la bonne volonté affichée de Marie Drucker d'entrer dans le lard du Boss de France Telecom) et le documentaire orienté (franchement le documentaire est un peu partial et ne montre les dirigeants et les managers que sous l'angle du cynisme alors que je pense que beaucoup se donnent du mal et luttent contre le délabrement) j'ai trouvé cette émission passionnante et même d'utilité publique.
Elle est la base d'une réflexion necessaire de tout un chacun au sein de l'entreprise et peut-être l'origine d'une prise de conscience.
Le forum a donné lieu à de touchants témoignages sur le site de France 3. Voir ici

Ce soir passe la deuxième partie du documentaire. 23H05 sur France3. Je serais devant ma télé. Et vous ?

5 commentaires:

Unknown a dit…

Merci pour ton retour. Moi qui n'ai pas la télévision, ça me permet d'être au courant de ce qui se passe en France.

En plus je suis directement concerné car je suis moi-même manager intermédiaire.

Dans ma boîte, mon patron sait nous mettre la pression sans nous rabaisser. Il s'exprime plutôt sur le mode du challenge. Du genre, bon tu me finis ça dans 2h chrono? (et ensuite il vérifie rarement qu'on a mis 2h et pas 3h...).

De plus tout le management a eu une formation de qualité avec deux coachs très expérimentés et tournés vers l'action, avec une vision du manager comme étant lui-même un coach qui doit viser à développer les compétences de son équipe.

Je résume beaucoup de ces points dans mon dernier article : http://ceclair.fr/inspirer-ou-imposer-telle-est-la-question-2

Barthox a dit…

merci pour le compte-rendu.

J'avais vu passer la 'pub' pour cette émission, mais je n'ai pas eu l'occasion de la regarder!

Il est clair que tant que ce seront uniquement des objectifs financiers seront fixés, le bien-être des travailleurs ne pourra pas s'améliorer ...

Par contre, ce soir à 23h05, je serai dans mon lit ...

Mama-Zen a dit…

Excellent article Monsieur J. De ce côté-ci de l'Atlantique, on a bien entendu parler de ce désastre corporatif qui arrive à France Télécom. Je trouve cela très choquant cette histoire, et à mon sens l'élément qui me frappe le plus est le propos du psy qui dit qu'il n'y a pas d'épidémie car ces actes sont le fait de gens seuls, isolés. C'est justement à la source même de chacun de ces drames individuels... plus de portes de sortie, plus d'alliés pour mener leur combats, et pris au piège de demandes irréconciliables...

Qui n'y perdrait pas la raison avouons le. De plus, je suis persuadée que ces gens qui ont tant souffert jusqu'à l'exprimer de façon si «définitive» sont des gens qui avaient à coeur leur travail, leurs collègues, la réussite de leurs projets... c'est ce qui les a perdus.

Quel drame, que dire de plus?

Anonyme a dit…

Je découvre votre blog, très intéressant ! je mets un lien dans le mien.

Monsieur J a dit…

@Argancel : Cool, je vais me faire payer par France Télé pour répercuter leurs émissions aux frenchies de l'étranger !
Sinon, la triste réalité est que les managers comme ton patron, qui motivent, plutôt que de jouer des muscles pour faire réaliser les objectifs...
Je reparlerai surement d'un échange que j'ai eu avec mon manager concernant le besoin (d'après moi) ou pas (d'après elle) d'être formé au management.

@Barthox : alors bon dodo ? :)

@MamaZen : toutafait d'accord, la désillusion est d'autant plus grande que tu prend ton boulot à coeur ! Néanmoins le cynisme et le je m'en foutisme ne sont pas des solutions viables à lon terme, car qui peut s'épanouir dans son activité si il ne lui trouve pas de sens ?