samedi 29 mai 2010

Alien : le retour ! (6 insidieuses façons de nous alinéner)

Le Travail est une chose merveilleuse et terrible à la fois (qui a dit cliché?!)
Lorsque l'on se sent bien dans son boulot on est le roi du monde. Tout le reste s'en ressent, la vie de famille, le temps des loisirs.
Par contre, quand ça va mal, la souffrance engendrée se répercute également dans tous les aspects de la vie.

Je lisais l'autre jour, en vacances, sirotant un mojito au bord de la piscine, l'excellent Philosophie magazine (l'édition de mai) sobrement intitulé "Le travail nuit-il à la santé?"

[En aparté je pense qu'il n'y a pas de meilleur moment pour penser au boulot et aux collègues restés à La Défense que lorsque on est affalé au soleil à faire la frite molle...]

Un article de ce magazine donc, décrit comment les techniques, soit disant modernes, de management suscitent d'inédites pathologies en entreprise.
Voici, sous vos yeux ébahis (si vos yeux ne sont pas ébahis, ébahissez-le c'est un ordre), comment l'entreprise moderne peut nous conduire à l'aliénation si nous n'y prenons pas garde :

1-Solitude de l'évalué

L'évaluation individuelle, plus personne n'y échappe. Par des logiciels ou des collègues anonymes (les fameux 360°) elle a envahit l'organisation du travail.
Sous couvert d'objectivité cette éval' indiv' nous enferme dans un système rigide. Puisque la perception est reine, alors je m'aliène pour coller au rôle que l'on m'a attribué dans l'entreprise. Ou à l'inverse je peux devenir invisible et me transformer en simple agent d'exécution. Dans tous les cas la solitude l'emporte.

2-Trop pressé pour bien faire

Faire est plus important que réfléchir selon l'entreprise moderne. De l'ouvrier au cadre nous sommes tous soumis à des cadences infernales. Des termes très "hype" sont même apparus pour valoriser le fait de faire tout (et n'importe quoi) en même temps : le multitasking.
La nécessité de s'adapter à de fréquents changements de postes fragilisent l'idée d'une réalisation sereine de tâches. L'insatisfaction s'installe. Cas grave d'aliénation. Puisque ce que je produis (que je perçois comme une extériorisation de moi-même) est bâclé, faute de temps, je me sens comme paresseux, négligent, peu doué, voire imparfait, "raté".

3-La conscience qui se disperse

Marx reprochait à ses contemporains d'échanger leur misères réelles contre le ciel de consolations religieuses futures. Aujourd'hui il se rendrait compte que nos esprits sont moins contemplatifs que fébrilement dispersés entre consultations de messageries instantanées, noyades dans des verres d'eau d'emails, coups de téléphones, visites éclairs de tel ou tel site internet...
Dans ce contexte c'est le flux même de conscience qui est atteint. L'individu moderne, soumis à des stimuli de toutes sortes dès son plus jeune âge peine à soutenir son attention sur le même objet. Je me souviens après 2 ou 3 ans de boulot avoir échangé avec mes amis ce constat : nous peinons à rester concentré dans une réunion d'une heure alors que durant nos études nous étions capables de suivre plusieurs cours magistraux de plusieurs heures chacun sans difficultés (ou presque).

4-Exploitation de la force nerveuse

Depuis quelques décennies, la force nerveuse et mentale des individus et devenue une matière qui s'exploite de la même manière que la force musculaire.
Sommés de fournir des notes, des idées, des projets, des idées ou des slogans dont nous serons rapidement dépossédés, nous n'avons aucune vue d'ensemble des projets auxquels nous contribuons. Le collaborateur devient une bête de somme cérébrale et non un individu à part entière. La prolétarisation des cadres ne désigne donc pas uniquement le déclassement progressif d'une catégorie professionnelle dans un contexte de compétition internationale, mais elle désigne l'incapacité croissante d'avoir une maitrise technique et cognitive sur ses activités (wow, vous vous doutez que j'ai pompé cette phrase dans le magazine pas vrai ?!)
Les cadres n'échappent pas à ce reflux du sens.

5-Sentiment de l'absurde

Il y a pire encore que de ne pas parvenir à articuler son activité à un projet d'ensemble : ne plus réussir à donner du sens à son travail, se retrouver dans un grand vide absolu. Le but de l'objet fabriqué, le sens de ses projets, la manière dont il le fait, tout cela est devenu incompréhensible pour bien des salariés. Bien des gens ne se reconnaissent plus dans ce qu'ils font. La fragmentation du processus de production, la spécialisation des métiers banalisent ce mal. C'est vrai que parfois il est difficile de ne pas sourire (au mieux) ou de ne pas pleurer (au pire) devant la disparité entre le sérieux des moyens et la futilité des fins. Nous sommes donc confrontés à une crise de sens devant nos ordinateurs, ou dans nos entrepôts. insignifiance du Travail...terrible prise de conscience. La réappropriation de soi, l'ajout de sens est le devoir de chacun et doit passer par un meilleur équilibre vie au boulot - vie en dehors. A moins d'être capable de voir, dans toute action, même la plus insignifiante, la beauté intrinsèque de tout travail.

6-Abus d'investissement

La volonté de s'accomplir dans son travail peut avoir des effets pervers. Ainsi l'aliénation peut naitre d'une confiance trop naïve dans les puissances bienfaisantes du labeur, conduisant à en espérer davantage qu'il ne peut apporter. En offrant à leurs employés des conditions confortables et la possibilité de progresser rapidement en terme de carrière et de salaire, ils encouragent les individus à tout donner au risque de leur vie privée et de leur santé.
Par exemple moi, ce matin, ma première pensée à été "je vais finir de lire les 70 mails qui me restent dans ma boite et que je n'ai pas eu le temps de faire hier" et j'ai failli rater le sourire de ma fille...
L'aliénation de l'engagement excessif risque de créer tous les symptômes de la déception à la moindre difficulté.

En conclusion, pour terminer sur une note positive, je dirais que tout n'est pas perdu. bien au contraire, nous avons "la main" pour changer les choses. L'avènement du temps libre, de la culture, des loisirs, de la vie privée compose un nouvel espace qui n'appartient qu'à nous et qui doit nous permettre de contrebalancer les effets pervers d'un système ou n'avons pas toujours droit de changement. De même l'évolution par l'éducation tout au long de la vie professionnelle, l'engagement à éviter de s'aliéner dans des loisirs débilitants sont également d'autres terrain de lutte. Trouver cet équilibre n'est pas une question d'agenda, mais la condition fondamentale d'une vie réussie.

2 commentaires:

c.oyarbide a dit…

J'avais aussi relayé ce dossier de Philosophie magazine sur mon blog (Mortel Management).
Au-delà de l'article, il me semble que la philo doit repartir sans cesse à l'assaut pour interroger les pratiques...
Qu'en pensez-vous ?

Monsieur J a dit…

Plutôt que la philo, je dirai que chacun d'entre nous devrait "penser" son travail et le remettre en cause. Et non pas l'accepter tel quel, sans y réfléchir. Faire les tâches qu'on nous attribue de telle ou telle manière sans y réfléchir, parce qu'on nous a dit de les faire comme ça mène aussi à l'aliénation...